vendredi 7 octobre 2011

Kritik express

Diaphana Distribution
We need to talk about Kevin, de Lynne Ramsay
Lynne Ramsay adapte façon puzzle le roman épistolaire de Lionel Shriver. Le récit fait des allers retours constants entre le passé et le présent, révélant au compte-gouttes les raisons qui ont amené Eva (Tilda Swinton, absolument parfaite) à être ostracisée par son voisinage. On devine rapidement une explication effroyable mais le voile reste épais quant à sa nature même. Dès les premières scènes, Ramsay installe le malaise. Lorsqu'elle plonge sa caméra dans une bataille de tomates géante - une fête populaire espagnole- d'une beauté aussi sidérante que perturbante, elle annonce la couleur : rouge. Une couleur qui ponctue le film comme un leitmotiv, motif balourd qui annonce l'horreur du drame autour duquel se noue l'intrigue. Ce symbolisme sans subtilité, pompier, est l'un des gros point faible du film. Ce qui est plus réussi, c'est la tension croissante que provoque la relation mère-fils qui est décrite. Le Kevin au sujet duquel le titre suggère d'avoir une discussion est une publicité ambulante pour la contraception, l'enfant poison devenant un adolescent monstrueux. Dire qu'il s'agit d'une relation amour/haine est trop simpliste et serait trop confortable. Le film ne se risque pas à dire pourquoi Eva aime son fils coûte que coûte : se force-t-elle au nom d'un prétendu instinct maternel ? par convention sociale ? ou, et c'est peut-être cela qui est le perturbant, parce qu'elle se reconnaît en lui ? Ramsay joue des correspondances entre les plans (des visages immergés, la façon particulière de préparer un sandwich ou de trier méthodiquement des rognures d'ongles/des morceaux de coquilles d'oeufs...) pour signifier leurs ressemblances et nous dire que si tout semble les opposer, ils ont beaucoup en commun. Lorsque le voile se lève enfin sur le drame charnière qui a fait basculer la vie d'Eva (et de Kevin), de multiples questions viennent à l'esprit. Des interrogations qui nous poursuivent longtemps après avoir quitté la salle.



L'Apollonide, de Bertrand Bonello
Bonello signe un film au charme vénéneux, très bien documenté, et qui, au naturalisme, préfère l'onirisme et son évanescence justifiant le sous-titre "souvenirs de la maison close". Porté par un casting féminin impeccable, ce film d'époque rompt avec les règles de l'académisme pour laisser surgir la modernité de manière assez audacieuse, osant l'anachronisme avec son générique et l'emploi de "Bad girl" de Lee Moses dans la B.O. Bertrand Bonello ne condamne ni ne loue les maisons de tolérance, il ne juge aucunement ces filles mais le regard qu'il porte sur elles redonne leur humanité à ces "objets de désirs". Sa mise en scène s'attache à construire un oxymore, faisant se côtoyer l'effroyable et le sublime, l'innocence et la perversion, l'opulence (des salons et des chambres) et la pauvre condition de ces filles "de joie". L'Apollonide contient ainsi quelques une des plus fortes images que vous verrez au cinéma cette année. Une grande réussite.


Restless, de Gus Van Sant
Une jeune fille condamnée par la maladie, un jeune homme fasciné par la mort. C'est le duo, sur le point de devenir un couple, que l'on retrouve à 'affiche de Restless. Sortez les mouchoirs ? Pas si vite ! Parce que le dernier GVS, film de commande produit par Ron -le tâcheron- Howard est assez pauvre en émotions. Henry Hopper, belle révélation, est certes touchant dans son rôle d'ado lunaire et torturé qui rappelle le Harold d'Hal Ashby. Mais Restless tombe dans le piège de la poésie de papier glacé, se parant des atours du romantisme sans fouiller les âmes en profondeur. Ce qui peut amener le spectateur à se concentrer plus volontiers sur les jolies tenues de Mia Wasikowska que sur le destin de ces jeunes personnages.

mardi 4 octobre 2011

Kritik express

Warner bros France
Crazy, Stupid, Love, de John Requa et Glenn Ficarra
Bonjour les contrastes, avec un casting réunissant Steve Carell et Julianne Moore, Emma Stone et Ryan Gosling, Kevin Bacon et Marisa Tomei. Le titre laisse a priori présager une comédie romantique sans grande subtilité et c'est le cas dans la première partie montrant un quinqua plan-plan (Carell), largué par sa femme, coaché par un modèle sorti des pages de GQ (Gosling, ici expert en séduction). On imagine alors comment cela va se terminer. En gros, celui qui avait le plus besoin d'aide n'est pas celui auquel on est censé penser et chacun gagne à apprendre de l'autre. Bla, bla, bla. Or, Crazy, Stupid, Love, sait ménager quelques surprises, contrariant le scénario en pilote automatique. Film choral sur l'amour et les bêtise qu'il nous fait commettre, il laisse affleurer des émotions moins gnangnan qu'attendues. Il n'empêche que le tout manque de rythme, même si des embardées hystériques tentent de le faire oublier.




Habemus papam, de Nani Moretti
Le Pacte
Je plaçais de grandes espérances dans le nouveau Moretti, précédé d'une flatteuse réputation depuis son passage sur la Croisette. Hélas, j'ai été déçu par cette histoire de pape démissionnaire. Moretti signe un film somme toute assez élégant, mais je n'ai pas embarqué dans la fugue et les pérégrinations théâtrales de Piccoli, et ai préféré les scènes liées à l'enfermement forcé du psy au Vatican, à commencer par la compétition de volley.




La fée, de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy
Laurent Thurin-Nal
Un film que j'aurais aimé aimer. Je ne connaissais les précédentes réalisations du trio que par bribes (extraits, bande annonces...). La fée était donc ma première balade dans leur univers. Il y a de la fantaisie, de la poésie et un brin de scènes amusantes. Mais je ne suis pas parvenu à m'immerger dans leur monde. Comme si l'on me racontait une jolie histoire inoffensive et jamais vraiment captivante.


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lundi 3 octobre 2011

Kritik express

Wild bunch distribution
La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli
L'autofiction au cinéma ne fonctionne que si elle s'accomplit dans un élan de sincérité et abandonne tout calcul. C'est le cas dans La guerre est déclarée. Si Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm - qui ont écrit le scénario à quatre mains et tiennent les deux rôles principaux - se sont inspirés de leur douloureuse expérience de couple confronté à la maladie de son enfant, ils ne tombent jamais dans l'impudeur. Surtout, ils n'ont pas peur de s'attaquer à des scènes casse-gueules avec leur sensibilité (la course dans les couloirs de l'hôpital, l'annonce du diagnostic aux proches, par exemple), scènes que le spectateur pourra trouver moins réussies. Ils assument leur jusqu'au-boutisme, ne craignent pas de passer du rire aux larmes -partition difficile à composer- et osent une bande originale hétérogène et omniprésente. La guerre est déclarée relève à la fois du journal intime, du collage cinéphile, de l'illustration pop et du film phénomène parce qu'il parle au plus grand nombre avec sa propre voix et sans prétendre à l'universalité.




Les Bien-aimés, de Christophe Honoré
Le Pacte
Avec son intrigue qui court des années 1960 à une époque contemporaine, condensée en 2h20, Les Bien-aimés laisse d'abord une impression mitigée. Comme si à vouloir trop embrasser d'époques, de pistes et de vies, le film échouait à étreindre l'émotion. Or, le dernier Honoré est l'exemple parfait du film qui ne se révèle vraiment qu'après avoir infusé en nous. Alors, la magie des Chansons d'amour n'est plus forcément là et la partie consacrée à Madeleine croule sous les références truffaldiennes, mais le film dégage un souffle réel dès que Chiara Mastroianni entre en scène. La nostalgie laisse la place à la modernité et à une intensité culminant dans les séquences montréalaises. Un beau film qui semble défendre l'idée que les amours insatisfaites sont celles qu'on vit le plus intensément.





La piel que habito, de Pedro Almodovar
Pathé
Pedro Almodovar fait une incursion dans le cinéma de genre, lorgnant vers le rape-and-revenge, sans renier complètement son goût pour le mélodrame. Il adapte librement Mygale de Thierry Jonquet et signe un conte horrifique où un savant-fou teste sur sa cobaye une peau plus résistante. D'une violence psychologique vertigineuse - y a-t-il pire geôle que son propre corps ?- et d'une mise en scène à la froideur idoine, ce film interroge la notion d'identité et s'impose comme l'un des sommets de l'année.



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