samedi 7 mai 2011

Tout sur ma mère

/ D. R.

Manuela élève seule son fils, Esteban. Passionné de littérature, écrivain en herbe, celui-ci souffre de ne pas connaître son père. Pour son dix-septième anniversaire, sa mère l’emmène au théâtre. On y joue Un tramway nommé désir. Après la représentation, Esteban attend à la sortie des artistes. Il aimerait un autographe d’Huma Rojo, l’actrice principale. Mais la comédienne grimpe dans un taxi, sans même jeter un regard au jeune homme.
 
Tout sur ma mère est sans doute le meilleur film de Pedro Almodovar à ce jour. Il concentre à lui seul les thèmes et les figures emblématiques de son cinéma : flamboyance du mélodrame, personnages « marginaux », femmes au bord de la crise de nerfs, comique irrévérencieux… Véritable film d’actrices réunissant Marisa Paredes, fidèle du réalisateur, Cecilia Roth et Penélope Cruz -magnifiée quelques années plus tard dans Volver-, il s’impose comme une ode à toutes les femmes en rendant hommage à leur courage, à leur force de caractère et à leur féminité. Des qualités, qui, ici, se révèlent être des armes redoutables pour contrer l’abattement et le désespoir. Car s’il est traversé par la maladie, la mort et le deuil, Tout sur ma mère, fait triompher la vie. 

Ce portrait d’une femme qui plie mais ne rompt pas, déploie un optimisme jamais candide. Manuela effectue une sorte de chemin de croix païen, où chaque épreuve, chaque douleur surmontée est un pas de plus vers un bonheur de toute manière insaisissable.

Une scène résume à elle seule tout le propos du film. Manuela revient à Barcelone, à bord d’un taxi. Musique mélancolique en fond sonore. Elle demande à être conduite à un terrain vague, où, autour d’un feu, des femmes offrent leurs corps et leurs charmes. La maman et les putains se retrouvent dans la même ronde. La caméra en plongée présente ce manège de chair triste, de désenchantement adulte. On peut ensuite apercevoir trois des personnages clefs du film. Cette vision poétique d’un enfer terrestre est le point de départ de la reconstruction de Manuela. Son chemin se dirigera peu à peu vers la lumière : celle de la foi en la vie et des projecteurs de théâtre.



 

Tout sur ma mère
(Todo sobre mi madre)
Espagne, 1999.

Réalisé par : Pedro Almodovar. Avec Cecilia Roth, Marisa Paredes, Penélope Cruz, Antonia San Juan...

vendredi 6 mai 2011

Coup d'éclat

© Ad Vitam
Catherine Frot a abandonné à la naphtaline ses tenues d’enquêtrice de la boutique Agatha Christie. Du moins, le temps de se glisser dans les bottes automne-hiver 2010 de la capitaine de police au bout du rouleau. Un rôle d’anti-Julie Lescaut, dans lequel se sont précédemment glissées ses consœurs Josiane Balasko (Cette femme-là, Guillaume Nicloux, 2003) et Nathalie Baye (Le Petit lieutenant, Xavier Beauvois, 2005). José Alcala nous convie à partager le quotidien de cette femme – évier à réparer, mère malade à border, canons de rouge à avaler et dépression à couver. Rien de franchement novateur mais ici réside l’aspect le plus intéressant du film. Celui qui donne à voir Catherine Frot dans un registre froid, où les émotions intériorisées. L’actrice apparaît ici loin de ses compositions fofolles en veste en tweed et c’est appréciable.

Quant à l’enquête qui l’accapare, c’est une autre histoire. Ce prétendu suicide d’une prostituée de l’Est sur lequel elle s’échine, de manière obsessionnelle, à faire la lumière, ne captive guère. C’est surtout un prétexte pour nous plonger dans cette France que l’on dit « d’en bas », celle des mobil-homes et des foyers Sonacrota. Celle qui morfle de la crise et qui a déjà été assommée par la mondialisation au préalable. Celle qu’Alcala a côtoyé dans son documentaire Les Molex, des gens debout (2010). On sent l’empathie sincère du réalisateur vis-à-vis de ces figures modestes. Sa sensibilité de gauche s’exprime au détour de quelques répliques –lorsque Fabienne Bourrier/Catherine Frot, peste contre la politique du chiffre, par exemple. Mais il manque un je-ne-sais-quoi –un coup d’éclat, justement- qui contrebalancerait la froideur dans laquelle s’enferre cette fiction. La naissance d’une amitié (d’un amour platonique ?) entre la quadra célibataire et un ouvrier aurait pu y contribuer. Mais on n’en aperçoit qu’une ébauche.






Coup d'éclat
France, 2011.
Réalisé par : José Alcala.
Avec : Catherine Frot, Karim Seghair, Marie Raynal, Liliane Rovère…

Agora

© Mars Distribution
Après le thriller, le fantastique et le drame, Alejandro Amenábar a choisi de tâter du péplum. Son ballet de toges et de sandales ne manque pas d’ambition. Mais il n’est pas sûr que cet Agora , film le plus cher de l'histoire du cinoche ibérique, devienne une référence du genre.
Hypatie, avait de quoi titiller l’intérêt d’un cinéaste. Méconnue, cette mathématicienne et philosophe, aussi érudite que belle et charismatique, selon les éléments biographiques pouvant être glanés ci et là, a connu une fin des plus dramatique. Un destin de la trempe de ceux que le grand écran aime à accueillir. D’autant plus qu’il est lié aux querelles entre juifs et chrétiens, dont Alexandrie a été le théâtre au IVe siècle. Comprenez : pourquoi ne pas en profiter pour esquisser un parallèle entre cette tranche d’histoire et notre époque actuelle ? De l’intégrisme religieux à l’opportunisme en politique en passant par la place de la femme dans la société, les thèmes brassés par le film ne manquent pas. Mais l’entreprise se révèle vaine Amenábar ne démontre rien que le spectateur ne sache déjà.

Le problème majeur de l’ensemble, c’est qu’Agora donne l’impression de réunir deux films en un, tant il peine à lier le parcours de l’héroïne au contexte historique. D’un côté Hypatie l’agnostique, absorbée par ses recherches en astronomie ; et de l’autre, les conflits religieux qui secouent la cité. Aussi, quand ces deux lignes narratives se rejoignent, c’est un sentiment de superficialité qui prédomine. Et l’émotion qui aurait pu s’échapper des (rares) scènes fortes reste alors bien discrète. La faute également aux deux principaux rôles masculins, aux caractères hâtivement dessinés. Oreste, ancien élève d’Hypatie, devenu préfet impérial et Davus, personnage entièrement inventé, un esclave de la mathématicienne converti au christianisme. Tous deux, bien qu’amoureux de la jeune femme et éconduits (la légende veut qu’elle soit restée vierge toute sa vie), manquent cruellement d’épaisseur.

C’est au détour des scènes montrant Hypatie en pleine réflexion sur la rotation de la Terre autour du soleil qu’Agora s’avère véritablement digne d’intérêt. Ces instants, qui figurent parmi les plus intimistes du film, sont paradoxalement ceux qui ont le plus de souffle. Le reste ressemble davantage à ce que pourrait donner l’adaptation cinématographique d’un extrait d’ « Alexandrie pour les nuls ». Les faits principaux sont à l’écran, mais il faut signaler que la séquence finale paroxystique, impliquant le fictif Davus, est purement imaginaire. Quand Amenábar n’a pas réinventé l’histoire, il s’est contenté d’en rester à la surface. Dommage.



 


Agora
Espagne, Malte, 2009.
Réalisé par : Alejandro Amenábar.
Avec : Rachel Weisz, Max Minghella, Oscar Isaac…


La solitude des nombres premiers

© Le Pacte

Une adaptation d’un roman estampillé « best seller en Italie » et affublé d’un titre digne d’un Anna Gavalda ? J’en vois déjà qui rechignent. Et s’imaginent une transposition sur grand écran d’un champion de librairies pour ménagères affamées de bons sentiments. Heureusement la séquence d'ouverture efface toute crainte. En laissant sa caméra fureter sur la scène d’un spectacle de kermesse aux accents baroques, c’est le Dario Argento de la grande époque que convoque Saverio Costanzo. Un peu plus tard, il réutilisera même un extrait de la B.O. de L’oiseau au plumage de cristal. De la scène inaugurale argentienne aux dernières images rappelant la conclusion de L’avventura d’Antonioni, le film est ainsi placé sous la tutelle d’influences qui ne l’écrasent à aucun moment.

Loin de se résumer à un décalque de références cinéphiliques, La solitude… est une œuvre déconcertante. A l’image de ses deux principaux protagonistes, Alice et Mattia. Deux personnages écorchés vifs. L’un est porté sur l’automutilation, l’autre penche vers l’anorexie. On les voit évoluer à des périodes clefs de leur existence (1984, 1991, 2001 et 2008). Costanzo a choisi de briser la structure linéaire du roman. L’intrigue effectue de nombreux aller-retour d’une époque à une autre -les télescopant parfois- et c’est par bribes que le spectateur découvre les origines traumatiques de leurs souffrances futures. Simple et pertinente idée qui crée un suspense en même temps qu’elle développe l’impression de malaise. D’autant plus que chaque image, même la plus anodine a priori (un couloir de lycée, une mère emballant un cadeau…), porte une charge anxiogène latente.

Par les cadrages, le montage ou une musique oppressante, Costanzo prend un malin plaisir à suggérer une possible irruption de violence, physique ou morale. Le plus souvent, c’est pour mieux prendre à rebours les attentes du spectateur ainsi conditionné. Il se permet aussi des embardées oniriques qui sont parmi les plus beaux et forts moments du film et ouvre la porte à des incursions pop bienvenues (les chansons « Yes, sir I can boogie » et « Bette Davis eyes »).

Si le film perd de son souffle dans le dernier quart –quoi de plus normal après tout lorsque l’on bifurque d’Argento à Antonioni-, il emporte quand même l’adhésion. Car il concilie parfaitement un vaste programme thématique – mal-être adolescent, difficulté à communiquer, boulet de la culpabilité – et esthétique ambitieuse.





La solitude des nombres premiers
(La solitudine dei numeri primi)
Italie-France-Allemagne, 2010.
D’après le roman de Paolo Giordano. Réalisé par : Saverio Costanzo. Avec : Alba Rohrwacher, Luca Marinelli, Isabella Rossellini, Arianna Nastro, Vittorio Lomartire…