vendredi 6 mai 2011

La solitude des nombres premiers

© Le Pacte

Une adaptation d’un roman estampillé « best seller en Italie » et affublé d’un titre digne d’un Anna Gavalda ? J’en vois déjà qui rechignent. Et s’imaginent une transposition sur grand écran d’un champion de librairies pour ménagères affamées de bons sentiments. Heureusement la séquence d'ouverture efface toute crainte. En laissant sa caméra fureter sur la scène d’un spectacle de kermesse aux accents baroques, c’est le Dario Argento de la grande époque que convoque Saverio Costanzo. Un peu plus tard, il réutilisera même un extrait de la B.O. de L’oiseau au plumage de cristal. De la scène inaugurale argentienne aux dernières images rappelant la conclusion de L’avventura d’Antonioni, le film est ainsi placé sous la tutelle d’influences qui ne l’écrasent à aucun moment.

Loin de se résumer à un décalque de références cinéphiliques, La solitude… est une œuvre déconcertante. A l’image de ses deux principaux protagonistes, Alice et Mattia. Deux personnages écorchés vifs. L’un est porté sur l’automutilation, l’autre penche vers l’anorexie. On les voit évoluer à des périodes clefs de leur existence (1984, 1991, 2001 et 2008). Costanzo a choisi de briser la structure linéaire du roman. L’intrigue effectue de nombreux aller-retour d’une époque à une autre -les télescopant parfois- et c’est par bribes que le spectateur découvre les origines traumatiques de leurs souffrances futures. Simple et pertinente idée qui crée un suspense en même temps qu’elle développe l’impression de malaise. D’autant plus que chaque image, même la plus anodine a priori (un couloir de lycée, une mère emballant un cadeau…), porte une charge anxiogène latente.

Par les cadrages, le montage ou une musique oppressante, Costanzo prend un malin plaisir à suggérer une possible irruption de violence, physique ou morale. Le plus souvent, c’est pour mieux prendre à rebours les attentes du spectateur ainsi conditionné. Il se permet aussi des embardées oniriques qui sont parmi les plus beaux et forts moments du film et ouvre la porte à des incursions pop bienvenues (les chansons « Yes, sir I can boogie » et « Bette Davis eyes »).

Si le film perd de son souffle dans le dernier quart –quoi de plus normal après tout lorsque l’on bifurque d’Argento à Antonioni-, il emporte quand même l’adhésion. Car il concilie parfaitement un vaste programme thématique – mal-être adolescent, difficulté à communiquer, boulet de la culpabilité – et esthétique ambitieuse.





La solitude des nombres premiers
(La solitudine dei numeri primi)
Italie-France-Allemagne, 2010.
D’après le roman de Paolo Giordano. Réalisé par : Saverio Costanzo. Avec : Alba Rohrwacher, Luca Marinelli, Isabella Rossellini, Arianna Nastro, Vittorio Lomartire…

2 commentaires:

  1. Jolie critique, il faut vraiment que je revoie ce film dont personne ne dit la même chose dessus.

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  2. C'est un plaisir de retrouver ta finesse d'analyse sur le net...

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